une seconde de plus
Nous avions ouvert les livres sur l'Egypte, comparé les graphismes. Il lui fallait se faire, pour son spectacle de cirque, un oeil de pharaonne, immense, noir, envoutant. Nous avons fait plusieurs essais sur son petit visage d'enfant, mais ce qu'elle voulait vraiment, au fond, c'était tenir elle-même le crayon, découvrir cette sensation de la main qui glisse, de la mine sur la paupière, c'était être celle qui, penchée sur son miroir, tout entière concentrée sur son geste, orne son propre regard. Je sais qu'elle voulait découvrir ce moment de féminité à nul autre pareil, ce moment d'intimité, oublier qu'il y avait encore quelques poupées au fond de son armoire et un lapin en peluche pour accompagner ses nuits. Nous étions là, toutes les deux dans la petite salle de bain bleue, et ce geste qu'elle m'a regardé faire si souvent, rêvant d'y être un jour, devenait le sien pour une soirée de spectacle. Et la regardant faire glisser le khôl sur sa paupière je songeais qu'une page est doucement en train de se refermer, que ma petite fille n'est décidément plus une petite fille, qu'ainsi va la vie, à chaque seconde une seconde de plus.