retrouver la mer
J'ai senti comme une petite tension sur ma peau, une vibration, presque un frisson quand la mer est apparue derrière la ligne des arbres. Elle n'était pourtant pas loin et les soirs de grand vent je l'imaginais battre les rochers de Dahouët, mais elle était interdite, captive elle aussi. J'aurais pu, de mémoire, dessiner le petit port serré entre ses falaises, les roses trémières devant les volets bleus, les plates alignées en attendant la marée, je connaissais même par coeur cet anneau d'amarrage rouillé, au bout du quai, pour l'avoir dessiné tant et tant. Mais c'était jour de retrouvailles, jour de fête, j'allais voir de quelle couleur la mer s'habillait aujourd'hui. La marée basse découvrait des rochers ocre entrecoupés de vastes flaques engoémonées, et le vent, poussant ses petits nuages joufflus comme un troupeau de moutons farceurs, changeait à chaque instant la lumière qui tombait sur l'eau. Alors la mer s'amusait, essayait un trait presque turquoise pour l'effacer tout aussitôt, posait une pointe d'outremer qu'elle changeait en vert émeraude. L'instant suivant tout n'était plus que dégradé de gris, comme on passe l'éponge avant d'essayer d'autres couleurs, et la ronde recommençait. Sur le carnet le pinceau, débordé, n'arrivait pas à suivre l'oeil qui s'exclamait, s'enthousiasmait devant ces essais de palettes. Un petit croquis pour un joli moment... garder trace...