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vivre en Bretagne
5 avril 2020

Le carnet comme clef

Il est des fois ou être penchée sur mon carnet, toute absorbée par mon croquis, toute appliquée à trouver la bonne couleur, m'a ouvert des portes, sans que j'ai rien demandé. Ainsi dans un petit village des Corbières écrasé de soleil. C'était l'été, il faisait une chaleur de plomb fondu, les ombres étaient violettes à l'abri des hauts murs. Je m'étais assise sur une marche et dessinais la maison face à moi, volets clos sur sa fraicheur, au-dessus de la porte de laquelle un "1580" gravé dans la pierre disait combien d'étés de canicule elle avait vu passer. Les minutes s'allongeaient, le soleil grignotait le pavé, la porte s'ouvrit et une petite dame en sorti, petite souris de noir vêtue, le chignon blanc roulé serré derrière la nuque. Elle trottina jusqu'à moi, m'apportant un sourire presque confus de sa propre audace. "Vous dessinez ma maison" ? Je lui montrai mon croquis, lui expliquant qu'il me restait à poser les couleurs. "Vous viendrez me le montrer" ? Bien sur, avec plaisir. Trottinement de souris, porte refermée doucement. Lorsque je suis allée frapper à la porte on m'attendait. Derrière la maison, dans la presque fraicheur d'un jardinet grand comme un mouchoir de poche, à l' ombragé d'un vieux figuier tordu par les ans, une toute petite table, deux chaises, et un plateau avec deux verres et une carafe toute dégoulinante d'une citronnade glacée. Le jardin embaumait et j'ai bu là, à toutes petites gorgées pour faire durer ce moment, la plus inoubliable citronnade de toute ma vie, en compagnie de la plus inoubliable des petites souris.

Et puis, ce matin, reprenant quelques vieux carnets, je suis tombée sur celui que j'avais rempli lors d'une de mes virées en solitaire. J'avais à l'époque un fourgon et aimais partir seule, le nez au vent, dans ma petite maison grande comme une coquille d'escargot. Le vent de printemps m'avait amenée jusqu'à Giverny, j'y étais arrivée en fin d'après-midi et avais payé mon entrée pour visiter la maison de Monet. Hélas, qu'il était difficile de trouver un coin pour dessiner ! Je m'étais installée dans le jardin, m'asseyant par terre, et les hordes de touristes passaient au pas de charge devant moi, je ne voyais que des jambes, et des jambes pressées qui plus est, combien de temps ces jambes mettaient-elles à visiter le jardin, ne savaient-elles pas qu'elles pouvaient prendre leur temps ? Trois jardiniers, un peu plus loin, étaient penchés sur leur plate-bande. A l'heure de la fermeture l'un d'entre eux vint vers moi et me demanda s'il pouvait voir mon carnet. On parla un peu de cette foule, de la difficulté de savourer la paix du jardin, et il me proposa de venir le lendemain matin, une heure avant l'ouverture. Il m'ouvrirait, j'aurai le jardin pour moi une grande heure avant l'arrivée des Chinois, comme il les appelait. J'ai dormi là, dans mon fourgon, sur le petit parking déserté. Et le lendemain, une grande heure, toute seule dans le jardin avec les jardiniers. Un bonheur avec, pour clef, mon carnet de croquis. Ce matin, reprenant mon carnet, j'ai eu envie de retrouver ce moment-là. Je l'ai redessiné, me souvenant des oiseaux, des fleurs, de cette paix, et même de la brise tiède. Car c'est la magie du carnet, ce qui y entre ne s'oublie plus...

ChKeraudren

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Commentaires
M
J ai visité Giverny il y a quelques années fin avril, juste à l'ouverture et refait le tour à la pause de midi, pour éviter la foule. C est un endroit magnifique mais la horde de touristes casse l ambiance poétique du site.
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C
Que de beaux souvenirs !
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E
Ouiiii je me rappelle de cette histoire avec les jardiniers de Giverny, tu as dû la raconter lors d'un stage. Merci pour ce beau texte dont j'aime beaucoup la dernière phrase, ce qui y rentre ne s'oublie plus, comme tu as raison Charlotte....
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Y
Merci beaucoup pour cette parenthèse enchantée. Bon dimanche
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E
Merci pour ce beau texte Charlotte. Il est des matins où il est plus difficile de se lever que d'autres - où il faut s'extirper de ses rêves pour se retrouver dans une réalité difficile alors, oui merci Charlotte de nous offrir ce beau texte - la journée va être belle !
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