miniatures indiennes
Mon voyage indien du mois d'octobre a été une longue suite d'émerveillements, d'éblouissements, de découvertes (et de questionnements aussi, il faut le dire, nous n'avons pas les mêmes codes et les codes indiens peuvent être assez perturbants...). J'aime, partout où je vais, voir travailler les artisans, mais la rencontre avec les miniaturistes du Rajasthan a été pour moi un des grands moments du voyage (il a fallu me sortir de l'atelier de force). Assis en tailleur par terre, sur un tapis, le dos calé par une planche, ils posent sur leurs genoux un pupitre et préparent leurs couleurs au fur et à mesure de leurs besoins à partir des bocaux de pigments à leur disposition en poudre ou en morceaux : noir d'ivoire et noir de fumée pour les noirs, blanc de plomb, blanc de coquille et blanc de zinc pour les blancs, vermillon, rouge indien, rouge de plomb et carmin pour les rouges, malachite, vert de gris, terre verte et émeraude pour les verts, lapis-lazuli, indigo, azurite, cobalt et bleu de Prusse pour les bleus, jaune indien, orpiment (dérivé de l'arsenic), safran et ocre jaune pour les jaunes (et c'est là que j'apprends que l'éblouissant, le sublime, l'irrésistible "jaune indien", est fait à partir d'urine de vache sacrée nourrie à la feuille de mangue...). Je ne parle pas de l'or et de l'argent, largement employés. Le papier était à l'origine fait de plusieurs couches de feuilles de palme.
Jaïpur et Jodhpur sont les deux villes indiennes dont les palais possèdent les plus belles collections de miniatures, et mes souvenirs sont pleins de représentations de chasses au tigre, jardins luxuriants où glougloutent des fontaines de marbre, princes partant au combat sur leurs éléphants de guerre pendant que Vishnu comte fleurette aux maharanis (et c'est bien le seul à pouvoir les approcher). Une miniature, c'est un petit monde. Il faut s'approcher, s'approcher encore, encore un peu, être le nez dessus pour découvrir l'hallucinante richesse des détails. Le moindre garde de trois centimètres de haut dans un coin du tableau, tenant sa lance d'un air farouche, a un uniforme brodé d'oeillets boutonné de petits boutons octogonaux frappés aux armes du prince, la princesse croule sous les bijoux, les perles, les soieries peintes et même les éléphants sont parés comme des dieux. Les coups de pinceau ont la largeur d'un quart de cheveu, d'où ma fascination à regarder travailler ces miniaturistes penchés des heures sur leur pupitre, à dessiner un point de lumière dans l'oeil d'une servante, un anneau d'or au pouce d'un musicien. On pourrait rester des heures devant chaque miniature, à visiter ces univers tellement élégants, fleuris, parfumés...
Les photos étant tout à fait incapables de rendre la finesse des détails, je préfère ne vous en montrer que deux. Si vous avez l'occasion de voir une exposition de vraies enluminures (le travail étant tellement titanesque que les miniatures modernes sont extrêmement simplifiées) n'hésitez pas, vous ne serez pas déçu du voyage...